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Joueur contre joueur

Y voudraient que rien de ce qui nous anime

ne puisse scier les barreaux

y voudraient que le simple mot d’amour

n’implique pas le projet de détruire cette société



Puisqu’il nécrose l’entièreté du monde, où qu’on soit, on joue avec le jeu ou contre lui. Qu’on se cache dans la montagne, qu’on suive les rails de la revendication, qu’on s’en prenne aux autres, si on ne mord pas les lignes desquelles il se trace, on joue le jeu. On participe aux règles de notre fosse, notre isolement, notre désaffection.



quelque chose s’est fêlé à l’intersection

où on remet nos mains

nos rênes

à l’amertume à l’impuissance aux balises ou

à l’enfance au jeu au conflit



La machine, le système, tout le monde sait que ces clichés prisés par les adeptes des conspirations se vident à vouloir tout couvrir, à présumer une intention originelle, une toute puissance à dévoiler. En créant un emballage aussi grand que vague, on s’aveugle aux tensions et aux forces qui constituent le mouvement général de destruction de nos mondes qu’on tente de pointer. C’est le même ravin qui rive sa soif aux mots ici lorsqu’ils s’essaient à parler du jeu. Autant le chasser maintenant: le jeu désigne sur le plan existentiel l’aire et les clôtures de notre agentivité et de notre désir, et sur le plan social et matériel l’ensemble des contraintes qui nous conditionnent au repli et à la neutralité. Il sert à réévaluer nos gestes et nos objectifs, exercer une perspective stratégique en regard de nos possibilités, et en imaginer de nouvelles.



tu veux trouver la paix

comme si on pouvait sortir de la cour

mais dans le boisé à côté

ou l’autre plus loin avec le ruisseau

les poissons piquants

elle est là comme menace

la violence

les gardes vont revenir

ou quelque chose de leur cru



Tu peux t’attaquer aux monstres, aux gardes, aux fascistes, aux joueurs qui t’entravent. Tu peux t’ermiter, tu peux chercher la puissance. Tout ça peut être politique. Le jeu te demande de te concentrer sur une chose. De l’oublier, lui. Pour ne jamais te poser les questions: ça serait quoi tricher? Comment détruire le jeu? Comment déjouer tous les dispositifs qui te referment?



toujours la même chanson

c’est pour le mieux

vous devriez le savoir

avec vos organes et vos rêves

nous arrêterons la guerre

nous entretiendrons le mur

nous vous aménagerons une cavité

à l’image de vos ambitions



On pourrait gagner du terrain et se battre contre toutes ces choses qui nous affaissent, celles en nous et celles qui nous entourent. Autant ce qui nous aplatit, nous découpe, nous atomise de l’extérieur, que nos blessures, nos difficultés à traiter nos émotions, nos inaptitudes de communication. Mais on trouve la cible la plus proche, la plus facile à frapper, et qui nous apportera le sentiment de réussite ou de contrôle le plus immédiat: notre entourage, nos allié·es potentiel·les, nous-mêmes. On tombe en mode joueur contre joueur. Alors qu’on s’imagine couper nos chaînes immédiates, une des branches de notre bête à déchirer la grisaille se tourne contre elle. La bataille contre nos monstres devient bataille contre nous, mais nous contre nous c’est le jeu contre nous. Le degré zéro du rapport au monde capitaliste: le chacun pour soi. Le dispositif des cratères, la course à l’isolement nous rattrape tandis qu’on croit le combattre. On n’aura jamais fini de trouver des insectes dans nos foyers. À nous concentrer sur eux, on perd de vue ce qui, pendant ce temps, se met en place tout autour et rend nos mondes toujours plus attirants pour les cafards.



à l’heure sale

où la frousse

revient à la croisée

où ceuz qui fuient

leurs yeux derrière le drap

se replient dans leur grimace

en miettes

leurs ami·es deviennent leurs monstres

leur foyer leur cauchemar

la poussière leur bouée




Le jeu connait notre point faible. Il sait que nulle part on n’apprend à nous tenir à l’heure de la séparation, à s’allier les jours amers. Et qu’une fois uni·es et en prise, les recours se cachent. Et sortent d’on ne sait où ce bon vieux schéma, ces bons vieux mécanismes de traitement des blessures: s’il y a coupure, il y a couteau. Un coupable, une victime. On fait quoi dans ce temps-la? Quelqu’un·e doit payer le sang. La punition vient laver la pièce, remplit les failles et repeint un ordre par-dessus les fautes. Mais à l’extérieur de ce scénario pourri, il nous reste quoi comme options? Deux trois trucs, des indices à essayer, des savoirs contradictoires. De quoi s’enfarger. Se rattacher ça commence là, apprendre à ausculter nos erreurs au lieu de relancer la roue.




tous ces jours livrés à l’erre

à refuser de perdre

de se répéter c’est fini

de laisser les glaces

tenir contre tout

aux possibilités englouties



C’est ce qu’on appelle mélancolie, l’attente de ce qui n’arrivera plus. Le glorifier dans ce qu’il a de mort et d’irreproductible. Or, la blessure parle d’une défaite. T’arrives pas à croire que ça te soit arrivé, que ça se soit terminé. Comme si les autres joueur·euses n’étaient pas composé·es des mêmes matériaux merdiques qui te rendent aujourd’hui inapte à dépasser cette situation, qui t’ont empêché·e hier de déguerpir à temps. Alors c’est ici le défi, apprendre à peser la vitalité d’un plan, détecter ceux où le sang ne courre plus, accoucher ce qui mue. Bref, tirer de l’échec sa puissance réparatrice, y apprendre à orchestrer l’histoire de nos destinations.





écoute

une autre famille de voix

quelque chose comme du travail et du rouge

sur leurs robes blanches

nous fait oublier qu’on dit de craindre

les intentions illisibles de leurs prunelles

leur familiarité dentelée

ou leur incapacité à partir

ces couleurs qui leurs rendent

les paumes plus chaudes

que celles des restes à nos trousses

nos fantômes rangent leur parole

cherchent l’aiguille et l’aimant

marchent devant nos fautes

ça sort la langue les ami·es

l’amène à l’endroit indiqué

par leurs doigts

nous les suivons et guidons

c’est pareil

nos revenants

vous trouverez la faiblesse de vos chaînes

ce sera à vous

de broder autre chose

de prendre avec nous le pari

cultiver notre forteresse





alors nous sommes ensemble

contre les ingénieurs du jeu et leurs gardes

comme éclats imparlables

comme cabines d’étrangetés

c’est toujours la commune

qui coule entre nos doigts

entre nos tympans

elle chuchote

quelque chose d’ardent

où certain·es ont calciné leur poitrine

quelque chose tiède

où affuter nos ventres

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